J’ai été particulièrement touchée par les mouvements de contestation en Iran où des femmes et des hommes manifestent au péril de leur vie ( la police tire à balles réelles sur la foule ) pour exiger plus de libertés, plus de justice. Ce mouvement a débuté suite à la mort d’une femme qui avait été arrêtée par la police des moeurs parce que ses cheveux dépassaient de son voile. Me plonger dans le combat de ces femmes m’a rappelé à quel point notre liberté est fragile, à quel point il s’agit d’un combat de chaque instant.
En créant la séance de Vinyasa “Danser, Jouer, Explorer”, j’ai pensé à elles, j’ai pensé à nous. J’ai eu les larmes aux yeux en laissant mon corps bouger librement parce que je sais que c’est quelque chose de précieux et que, dans d’autres pays, je ne serais pas autorisée à mettre une telle vidéo en ligne. J’ai ressenti une immense gratitude de pouvoir la faire et de pouvoir la partager avec d’autres, au nom de toutes les femmes qui ne sont plus là pour danser avec nous.
Tout cela m’a fait réfléchir à la gratitude. J’en parle beaucoup dans mes cours et c’est quelque chose que j’ai pris l’habitude de cultiver tous les jours. La gratitude pour les petites choses de la vie nous aide à voir le beau et le bon, à garder une attitude positive face aux difficultés de la vie. Changer nos discours intérieurs peut avoir un impact immense sur notre quotidien. Mais cultiver la gratitude à l’intérieur de soi, est-ce suffisant pour rendre ce monde meilleur ?
Très souvent, nous avons aussi un besoin profond de reconnaissance pour les choses que nous faisons pour les autres. C’est un besoin tout à fait normal : il figure d’ailleurs en bonne place dans la liste des besoins en Communication Non Violente que vous retrouverez sur mon blog. Je précise qu’il s’agit d’un besoin normal parce qu’on le confond parfois avec le fait de réclamer de l’attention, ou d’être trop “needy” ( qu’on traduirait en français par “être dans le besoin” mais plutôt par rapport à un besoin émotionnel, avec une connotation négative ). C’est même un besoin vital parce que nous avons tous.tes besoin d’être vu.e.s et d’être entendu.e.s. dans notre authenticité. La gratitude que nous recevons de la part des autres nous permet de savoir que ce que nous faisons a du sens, que ce qui est parfois difficile à faire au quotidien est utile pour la communauté et ainsi, il nous est plus facile de persévérer.
Masi Halinejad est une femme iranienne qui vit aux Etats-Unis et qui dénonce depuis de nombreuses années, les violences, les tortures, les mises à mort, des militant.e.s politiques en Iran. Son frère a été arrêté et mis en prison en Iran pour la faire taire. Une partie de sa famille lui tourne le dos, de peur des représailles. Elle apprend régulièrement que des femmes qui militent à ses côtés en Iran se font emprisonner, parfois pour de très longues peines. Alors de temps en temps, elle sombre, elle perd courage. Elle se dit qu’elle devrait rentrer en Iran pour se battre, qu’elle est lâche de “juste” faire circuler les informations sur les réseaux sociaux. C’est alors qu’elle reçoit l’appel d’une amie qui lui dit : “merci Masi pour tout ce que tu fais. Merci de faire entendre nos voix à travers le monde. Ne rentre pas pour te faire arrêter et torturer, parce que ton action s’arrêterait. Continue à porter notre combat. Tu nous donnes la force et le courage de continuer de lutter ici, à Téhéran.” Ce message, plein de gratitude, lui redonne alors la force de continuer son combat, malgré la peur et le désespoir.
À notre échelle, nous pouvons aussi demander de recevoir de la gratitude. Nous pouvons aussi demander “une petite gratouille derrière l’oreille de temps en temps”, comme dirait Anthony. Parce qu’il y a des choses que nous faisons avec notre coeur, avec amour, mais qui peuvent tout de même être difficiles et épuisantes. Et parfois, le simple fait que quelqu’un qu’on aime nous dise : “merci, c’est vraiment beau/important/gentil ce que tu fais pour moi”, cela change tout et nous donne le courage et la force de continuer.
Alors ce mois-ci, j’ai envie de nous mettre un peu au défi : et si on exprimait un peu plus notre gratitude aux personnes que l’on aime ? Cela n’a pas besoin d’être des choses énormes. On peut remercier pour tant de choses ! Notez aussi que c’est important d’exprimer en quoi concrètement cet acte nous aide ou nous fait du bien. Cela rend notre gratitude beaucoup plus puissante pour l’autre. Cela pourrait donner par exemple : “Merci de t’occuper du chien aujourd’hui. Comme ça, ça me permet d’aller travailler sereinement en sachant qu’il passe une belle journée” ou encore “tu sais, quand je te vois travailler avec autant d’acharnement sur notre projet, je sens que je peux vraiment compter sur toi et que je n’ai pas à m’inquiéter sur le fait que nous allons parvenir à un beau résultat. ”
Et, un chouïa plus difficile : et si on demandait aux autres d’exprimer leur gratitude ? Pas avec un couteau sous la gorge, évidemment ! Mais cela peut donner quelque chose comme ça : “tu sais, cela me demande beaucoup de temps et d’énergie de faire ceci ou cela. Et cela me ferait vraiment du bien si tu pouvais me dire de temps en temps à quel point cela t’aide/te fais du bien/te décharges.”
Alors je sais, ce n’est pas toujours un réflexe ! Mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron, n’est-ce pas ?
Ariane,