Comme vous le savez sans doute si vous avez regardé ma dernière vidéo YouTube, je traverse en ce moment une période sombre, un temps d’obscurité et de chaos. D’où cette newsletter qui vous parvient un peu plus tard que d’habitude.
En trois semaines, j’ai perdu mon chat de manière brutale, je me suis séparée de mon compagnon et j’ai accompagné l’une de mes chèvres à quitter son corps physique. Beaucoup de pertes et de deuils en un temps très court. La détresse et la solitude qui m’ont envahies m’ont semblé infinies et aussi profondes qu’un gouffre dont je ne sortirais jamais.
Mais il y a une chose qui m’a particulièrement aidée dans ces moments d’obscurité, ça a été de me connecter à mes guides, à mes animaux alliés, au monde de l’immatériel, à travers le chant intuitif et le tambour chamanique. Quand je me mettais à jouer du tambour, je sentais que je n’étais pas seule, je sentais qu’il y avait quelque chose de plus grand que moi qui soutenait mes pas. Cela m’a apporté un immense réconfort.
J’ai eu la joie de rencontrer ma chèvre Babeth il y a quelques mois. Mes deux biquettes initiales, Rosalie et Charlie, avaient en effet besoin d’un troupeau plus grand. J’ai donc récupéré trois petites chèvres blanches qui allaient être euthanasiées parce qu’elles ne produisaient plus de lait, chez une chevrière près de chez moi. Babeth était très maigre mais je pensais qu’elle se retaperait doucement pendant l’hiver, avec des granulés et une nourriture plus riche. Je l’aimais beaucoup parce qu’elle avait une tête rigolote avec sa mâchoire un peu de travers, qu’elle avait un bêlement absolument inimitable, qu’elle était très douce et tranquille et qu’elle créait du lien entre mes chèvres brunes et les petits blanches.
Mais voilà, elle a été parasitée. L’infestation et sa faiblesse étaient telles, qu’elle a commencé à s’anémier. Malgré la venue du vétérinaire, le vermifuge, les injections de fer, l’apport d’une nourriture plus riche, elle n’arrivait plus à se lever. Tous les jours, je lui faisais des exercices pour qu’elle ne s’ankylose pas, j’essayais de la lever et de la stimuler. Quand la vétérinaire est revenue, elle n’était pas très optimiste mais elle m’a proposé de lui donner du sucre spécial chèvre et une alimentation encore plus riche. À ce moment, j’avais tellement besoin d’une victoire, tellement besoin d’espoir ! Je n’arrivais pas à croire que Babeth me quitte aussi. C’était trop injuste.
J’ai pensé au Karma Yoga et à cette invitation à agir sans chercher les fruits de nos actes. Je me suis dit que je me devais de tout tenter pour elle, de suivre l’élan de mon cœur, tout en sachant qu’aucun résultat ne me serait dû. Mais que c’était ok que je remue ciel et terre même si ma chèvre ne guérissait pas.
Babeth était installée dans l’abri, avec des briques de yoga pour la soutenir et éviter qu’elle ne tombe sans pouvoir se redresser. Je lui mettais une couverture pour la nuit et les derniers jours, j’allais la voir toutes les deux heures pour la nourrir et voir si tout allait bien. Comme elle mangeait avec beaucoup d’appétit, je m’accrochais à ce petit espoir. Mais j’étais épuisée. J’étais aussi complètement angoissée à chaque fois que j’y allais : allait-elle être tombée sur le côté ? Son état avait-il empiré ? Était-elle miraculeusement guérie ? Ou au contraire, serait-elle morte ?
Le soir avant sa mort, j’étais en larmes, pétrie d’angoisses, au fond de l'abîme. Alors j’ai pris mon tambour et j’ai demandé à mes guides une libération ou un miracle, parce que mes forces à moi étaient aussi en train de me quitter. Ce qui m’effrayait aussi beaucoup, c’était de me dire, très concrètement : “mais, si elle meurt, comment est-ce que je vais faire toute seule, avec le corps ? Comment je vais faire pour vivre cette enième douleur si je suis seule, sans personne pour me serrer dans ses bras ?” Or il se trouvait que, le lendemain, mes deux amies et voisines devaient venir chez moi pour une toute autre raison. Et une petite voix en moi me disait : ce serait vraiment bien si Babeth pouvait s’en aller à ce moment là. Ce serait doux pour moi de vivre ça entourée de ces deux autres femmes.
Le lendemain matin, quand je suis allée voir Babeth, elle a refusé de manger. Et j’ai alors su qu’elle était trop fatiguée pour continuer à se battre. Alors j’ai chanté pour elle, en lui caressant doucement la tête. Et je lui ai dit que c’était bon, qu’elle pouvait s’en aller maintenant. Que ce qui l’attendait allait être merveilleux et qu’il ne fallait pas qu’elle aie peur. “Tu peux y aller ma Babeth. C’est bon, laisse-toi aller ma toute douce. Je suis là, Djali et Rosalie, tes copines sont là aussi. On t’aime très fort. Tu peux y aller. Laisse toi aller.”
Mon amie Alicia est arrivée un peu après. Elle a passé une heure à écouter mes peines. Et quand Aurore est arrivée à son tour, je suis retournée voir ma biquette. Un rayon de soleil caressait son pelage de flocon de neige. Elle était morte.
Torrent de tristesse. Mes amies étaient là pour me serrer fort contre elle. J’ai tout lâché, tous mes sanglots, et toutes mes larmes. Mais elles étaient là. Je n’étais pas seule.
Elles m’ont aidé à transporter le corps de Babeth dans la forêt. Je savais que ce n’était pas légal, mais j’avais besoin de retrouver un peu de contrôle sur cette mort qui est incontrôlable. J’avais besoin de l’accompagner jusqu’au bout. J’avais besoin que sa mort nourrisse la vie, qu’elle soit dans le cycle immuable vie/mort/vie. J’avais besoin de pouvoir accomplir un rituel pour accompagner son âme. Et je ne pouvais pas me résoudre à ce que des inconnus s’emparent de son corps pour en faire je ne sais quoi.
Nous avons cueilli des fleurs et des branchages que nous avons déposés sur son corps. J’ai chanté avec mon tambour et prononcé quelques mots. Nous avons pleuré et nous avons ri. Puis nous sommes allées boire une bière dans l’enclos de mes chèvres pour renouer avec la vie. C’était beau, réconfortant et puissant.
Étonnement, après ça, je me suis sentie légère et soulagée. Mes guides avaient accordé ma prière : Babeth avait retrouvé la liberté des pâturages infinies, elle avait pu choisir le moment de sa mort et elle était partie quand j’étais aussi prête à la laisser partir. Un miracle et une libération.
Tout cela m’a profondément bouleversée. Cela m’a montré à quel point il y a des énergies et des liens qui nous dépassent. Dans ce monde si cartésien et robotique, j’ai développé une connexion avec un animal bien au delà des mots et du monde matériel. J’ai senti que mes doutes par rapport à l’existence d’autres niveaux de compréhension ne m’appartenaient pas. Ils appartiennent à ce monde qui, au contraire, ne veut pas voir qu’il y a autre chose qui nous unit. Ils appartiennent à ce monde qui continue de penser que la domination d’êtres vivants sur d’autres êtres vivants sera la solution à tous nos problèmes et que c’est la seule et unique manière de faire.
Il y a pourtant un autre chemin, plus subtile, plus doux, plus joyeux, plus harmonieux. Un chemin qui nécessite d’être à l’écoute de ce qu’il y a de plus grand que nous et d’accepter notre vulnérabilité. Il y a un chemin qui ne se soucie ni des chiffres ni des rendements ni des règles absurdes. Ce chemin c’est à nous de le tracer mais pour cela, nous avons besoin de retrouver notre confiance en nous, la confiance en la sagesse de nos coeurs, la confiance en notre intuition et en notre corps, la confiance que d’autres comme nous sont sur ce chemin, la confiance en nos capacités à nous connecter à ce qui ne se voit pas avec les yeux.
Alors ce mois-ci, je vous invite à explorer le chemin du subtile et à danser dans les verts pâturages avec ma Babeth, pour célébrer la vie et célébrer notre lien ancestral au monde de l’immatériel.
Ariane,